
Pas de doute, il faut faire preuve de beaucoup de volonté pour trouver
dans la masse, la carotte, la pomme ou le poireau issus d’une
agriculture 100% bio. Si le Maroc bénéficie d’un secteur agricole
dynamique, le pays est bel et bien à la traîne sur le terrain de
l’agriculture biologique. Selon les chiffres de la Fédération
Internationale des Mouvements de l’Agriculture biologique (IFOAM), 120
exploitations agricoles bio ont été recensées en 2011. La production bio
s’étend sur une surface de 17 030 ha (dont 6000 ha certifiés bio par un
organisme de contrôle), soit une part de 0,06% dans l’agriculture du
pays. Ces chiffres sont minimes. Ils placent le Maroc au 80e rang
mondial en termes de superficie, et 109e pour le nombre d’exploitations.
Le pays accuse le coup. En Afrique, le Maroc est même loin derrière
l’Uganda (228 419ha), la Tunisie (178 521ha) ou encore l’Afrique du Sud
(41 877ha). Alors qu’est-ce qui bloque ? Une loi qui tombe à pic
Conscient des efforts à faire pour combler le retard pris par le Maroc,
le ministère de l’Agriculture s’active pour réglementer la filière du
bio. Sa stratégie ? Le contrat-programme signé au SIAM à Meknès en 2011.
Des objectifs chiffrés à l’horizon 2020 qui doivent atteindre 40 000 ha
de terres cultivées bio et une production de 400 000 tonnes, dont 60
000 exportées. Autant dire qu’il faut mettre les bouchées doubles pour
faire décoller les 60 000 tonnes d’agriculture bio recensées pour la
campagne 2012- 2013. Ambitieux, l’Etat a mis en place une réglementation
au niveau national, la loi 39-12. Elle définit le champ d’application,
les règles de production, de préparation et de commercialisation des
produits biologiques, ainsi que le système de contrôle, de certification
et les conditions d’étiquetage. Autre volet important, la création
d’une Commission nationale de la production biologique. Tout un
programme ! Les premiers décrets ont été adoptés en mars dernier. Pour
Allal Chibane, chef de service de la promotion des labels à la direction
du développement des filières de production au ministère de
l’Agriculture, et membre de la Commission Nationale du bio, les avancées
de la loi 39-12 sont nombreuses. En tête de liste : l’adoption d’un
label bio marocain.
« La création d’un logo pour l’agriculture
biologique est un garant pour le consommateur. Cela va permettre de
développer considérablement la filière au niveau national »,
commente-t-il. En effet, pour les producteurs, l’absence de logo est un
manque à gagner considérable. Leur production sur les marchés est vendue
au prix des produits de l’agriculture conventionnelle. Elle n’est, de
la sorte, plus compétitive. Du côté des consommateurs, même son de
cloche. Sans logo, comment s’assurer du caractère bio d’un produit ? Si
des organismes de certifications étrangers délivrent le label bio au
Maroc, leurs prestations sont coûteuses. Elles peuvent atteindre 5000 DH
par hectare. C’est cher payé et décourageant pour les agriculteurs qui
souhaitent se lancer dans la filière bio. Àce sujet, Allal Chibane se
veut rassurant.
« À
terme, l’Etat s’engage à subventionner la production à hauteur de 70% de frais de certification par hectare ».
Du pain béni, si la promesse est tenue, pour les agriculteurs. Un
marché national embryonnaire Reste à booster la demande sur le marché
national. La quasi-totalité de la production bio est aujourd’hui
destinée à l’export, prin- cipalement en Europe et une petite partie en
Asie (Japon et Corée du Sud). Amlou, huile d’argan et huile d’olive se
partagent alors timidement le marché national. Comment trouver alors le
juste équilibre entre cet appel du grand large et le marché local ? Les
grandes exploitations le répètent, sur le marché national, elles vendent
à perte et avec un coût additionnel. Seules les petites fermes
agricoles essayent de s’y maintenir. Elles sont principalement
concentrées sur l’axe Casablanca-Rabat-Marrakech. Petit bémol, quasiment
aucune d’entre elles n’ont les moyens de certifier leur production.
Elles estampillent alors leurs produits d’un logo bio, mais derrière, il
arrive qu’aucun organisme de certification ne leur ait délivré le
label. Elles fonctionnent avec le système des paniers de fruits et
légumes distribués aux particuliers. En moyenne, 150 DH pour un panier
d’environ 15 kilos. La clientèle concerne un petit nombre de personnes
averties. D’autres produits bio trouvent leur place dans les rayons des
supermarchés, mais triste constat, les étalages ne sont pas mis en
valeur et souvent quasi-vides. Les produits bio se mélangent à ceux de
l’agriculture conventionnelle, le consommateur navigue dans le
brouillard. Aussi, l’étiquette bio que l’on trouve sur les emballages
n’émane d’aucun organisme de contrôle. Pas de moyen pour savoir si
quelques pesticides ne se sont pas glissés dans le processus de
production.
« Nous devons fournir beaucoup d’efforts pour avoir une offre suffisante et de bonne qualité sur le marché national », conclut Allal Chibane, du ministère de l’Agriculture. À
la Vie Claire,
méga magasin bio franchisé, sur 3000 références, seul un faible
pourcentage est produit localement. La quasi-totalité de la marchandise
vient d’Europe, de France principalement. L’Association Marocaine de
l’Agriculture Biologique (AMABIO) espère que la donne va changer. Son
voeu ? Voir les producteurs se rassembler et ouvrir des stands bio dans
les marchés des grandes villes, comme celui du Maârif à Casablanca par
exemple. Néanmoins, le bio reste une denrée élitiste. Le prix,
relativement élevé, est souvent décourageant pour les consommateurs. Des
agriculteurs peu formés Le manque de professionnalisation de la filière
bio au Maroc est un autre handicap dont pâtit le secteur. Les
agriculteurs s’essayent au bio, sans formation, alors que la filière
nécessite un véritable savoir-faire. C’est presque une reconversion
idéologique.
« Le bio est une psychologie, un retour à la terre », commente Slim Kabbaj, président de l’AMABIO.
« C’est la mentalité de nos grands parents avec le savoir-faire du 21e siècle ». Face à ce constat, le ministère de l’Agriculture assure avoir un programme de formation ambitieux pour les agriculteurs.
«
Nous avons déjà réalisé deux sessions de formation pour le bio dans
l’Oriental et à Agadir. Les bénéficiaires ont été très satisfaits »,
détaille Allal Chibane. Ces formations ont touché une quinzaine de
producteurs. 6 sessions au total sont prévues pour l’année 2014.
« Il faut rendre le passage au bio plus spontané »,
renchérit Slim Kabbaj de l’AMABIO. À cet effet, l’association qui
milite pour le bio au Maroc a déclaré 2014, année du bio. Elle souhaite
sensibiliser le plus grand nombre à l’agriculture biologique. Leur page
Facebook publie quotidiennement des articles instructifs sur les
bienfaits du bio. Si le Maroc débute dans la filière bio, ses ambitions
sont grandes. La volonté est là. Reste à savoir si l’élan du côté du
consommateur permettra au secteur de décoller sur le marché national.
Après tout, c’est bel et bien dans leurs assiettes que les produits bio
vont finir ❚
par :
Par Margot Chevance le 11 juillet 2014.http://lobservateurdumaroc.info